26/11/22 – 21/01/23 – ARCHIMEDE T(H)RUST, Anna Tomaszewski

Anna Tomaszewski développe dans son travail une approche de la sculpture à travers différents médiums comme la photographie, la vidéo, le son et la performance. Elle s’inspire de l’entropie naturelle qu’elle remet en contexte, en déplaçant des espaces existants vers d’autres écosystèmes et d’autres échelles. En sondant l’interstice entre monde connu et imaginaire, elle déniche des fragments qui deviennent des catalyseurs de nouveaux espaces et de nouvelles fictions.

En jouant sur les échelles et en créant des dispositifs convoquant le regard, entre intérieur et extérieur, Anna Tomaszewski abordera l’espace Terrail comme un aquarium avec de nouvelles règles d’équilibre, en s’inspirant de l’univers des récits d’Italo Calvino. Des fragments et des déchets trouvés dans différents milieux aquatiques seront décuplés et amplifiés sous forme de différentes sculptures en céramique. Entre illusion et réalité, immergées ou en suspension dans l’espace, elles deviendront le leitmotiv d’une nouvelle cosmogonie, d’une éco-fiction.

Anna me parle de l’élément eau, d’un imaginaire fluide, évoquant l’importance d’une formule, une force particulière, imposant à un corps immergé une tension. C’est une force contraire, agissant en opposition à la gravitation. Une force qui repousse vers le haut, alors que tout semble inévitablement lesté vers le bas. Tout corps immergé est alors tendu entre deux sens, celui de l’approfondissement, mystérieux, humide et inquiétant, et de l’essor, presque miraculeux. Nous parlons de surface, de limite, traversantes, traversées. L’idée des profondeurs semble voguer autour de notre discussion sans jamais la pénétrer. Nous évoquons les ricochets, les perturbations qui animent l’étendue coulante et lisse.

Au fond de la matière pousse une végétation obscure.

Anna me parle de ses gestes, ceux qu’elle effectue pour façonner ses objets. Elle nous transporte dans leur univers, à l’écoute de leur histoire particulière. Anna est faite de leur matière. Elle nous entraine au creux des pierres, composant avec leur humeur; nous attire vers une scissure, une fêlure, beauté étrange, intime. Elle nous éduque à une imagination ouverte, évoquant un récit à l’intérieur d’une substance primitive et universelle. L’eau, l’insondable, fraiche et violente, nous force à une rêverie lucide, allégorie de l’agitation présente.

La mort de l’eau est plus songeuse que la mort de la terre : la peine de l’eau est infinie.

A la poésie des reflets des formes irisées s’ajoute la perception de corps plus obscurs, plus lourds. En apesanteur, à la limite de l’observable et de l’enfoui, de l’indicible mais pressenti. Cette ligne d’horizon dont me parle Anna, cette ligne allusive qui dessine la limite et l’étendue à la fois, est peut-être le point référent. L’horizon marque ici la présence des corps dans l’espace. Il ne matérialise pas la limite, trace immuable d’une perception visuelle mais exprime une fonction possibilisante, donnant lieu aux deux dimensions.

C’est à cet endroit précis, sur cette ligne de contact, que les choses se donnent à voir.
Tout semble alors en suspens, incertain. Portés par les récits de Anna, ces compositions flottantes, ces fragments de collectes, se chargent d’images aux combinaisons et associations perpétuelles. Ils échappent à une interprétation littérale, engourdie; éveillent en substance des fictions écologiques qui nous poussent à repenser notre rapport au milieu, au non-humain, au non-vivant.

Il est des eaux qui ont l’épiderme sensible.

Durant mes visites dans l’atelier de Terrail, j’aperçois des bouts de terre crue et cuite, tous modelés par les doigts de Anna. Certaines pièces sont puissantes, dotées d’un pouvoir narratif prodigieux. Les minéraux se mélangent. Glaçures aux différentes textures, souvent lisses, fixes et immobiles, elles sont ici agitées, animées. Anna évoque l’écume. Elle sourit et rappelle une écume légère, fine, ondulante. Celle qui vient vous caresser les pieds. Je me remémore toutefois une mousse épaisse, formée par les vent turbulents et alour- die de matières organiques qui prolifèrent sous l’effet du réchauffement planétaire. Imprégnée du bruit léger et répété de l’eau soulevée par des ondes qui s’entrechoquent, je suis réveillée par un sifflement et repense à cette théorie des sens contraires, Archimede t(h)rust.

Stefania Angelini


Citations p.13, p.17 et p. 208 in G. Bachelard, L’eau et les rêves, Ed. José Corti, 1942.